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Auteur
Christine Gosselin Auteure
Date
14 juillet 2025
Catégories
Type
À l’ombre des pierres et des fleurs : deux abbés pour un même souffle
Derrière les hauts murs chargés d’histoire de l’abbaye de Leffe, entre rosiers et hortensias, la communauté des chanoines prémontrés poursuit son chemin, même si une page se tourne. Le père Benoît Carniaux passe le relais à son successeur, le père Christophe Monsieur. Rencontre croisée, entre mémoire fraternelle et espérance active.
Après douze années d’abbatiat, le père Benoît, qui était déjà mobilisé par d’autres responsabilités au Québec, a transmis la charge au père Christophe, élu par ses pairs le 24 juin dernier pour un mandat de neuf ans. Dans cette abbaye prémontrée, dernière communauté de chanoines réguliers de Wallonie, les transmissions se font dans la prière, mais aussi dans la confiance. La communauté compte aujourd’hui douze chanoines, dont huit vivent à l’abbaye. L’élection du père abbé, à bulletin secret a été l’affaire de tous. Le chapitre détermine ensuite la durée du mandat et élit un conseil qui accompagnera le père abbé dans ses décisions.
Une communauté fidèle à sa vocation

Le père Benoît revient avec lucidité sur les années écoulées. Les débuts de son abbatiat ont été marqués par des années de « désert », confrontés à l’absence de nouvelles vocations et à une certaine dispersion qui laminait la vie communautaire : « Chacun était mobilisé dans de multiples activités pastorales, sociales, académiques… La vie communautaire en souffrait. Il fallait redonner du temps à la prière, à la fraternité, au simple fait de partager les repas ensemble. »
Face à ce constat, la communauté a engagé une réflexion de fond sur ses priorités et l’avenir des lieux.
Cyrys : un souffle de responsabilité partagée
Entretemps, la création, en 2017, de la fondation Cyrys, nommée en mémoire du père abbé Cyrille Nys, qui relança la tradition brassicole à Leffe dans les années 1950, a permis de relever la communauté de responsabilités pour lesquelles elle n’avait pas, par elle-même, les moyens de suivi nécessaires. Cyrys incarne un engagement tourné vers le monde, dans l’esprit de Laudato Si’. « L’écologie humaine est notre fil conducteur, explique le père Benoît. Non seulement dans sa dimension environnementale, mais aussi sociale, culturelle, interpersonnelle et spirituelle. »
Cyrys agit à travers sept sphères d’action — le soutien et l’autonomisation des personnes en difficulté, l’environnement, l’économie sociale et solidaire, la préservation du patrimoine naturel et culturel, la qualité de vie, le bien commun et la justice sociale. Elle soutient prioritairement des projets sur Dinant et les communes voisines, tout en initiant ses propres actions.
Une mission qui continue ailleurs
Aujourd’hui déchargé de ses fonctions d’abbé, le père Benoît reste supérieur d’une communauté de prémontrés au Québec et vicaire de l’abbé général pour la circarie francophone (Congo France, Canada et Belgique). Un séjour prolongé outre-Atlantique est déjà prévu pour la fin de l’année. « Peut-être aurai-je enfin un peu de temps pour mes recherches en théologie fondamentale », confie-t-il en souriant.
« Ce qui a inspiré la communauté toutes ces années, c’est la devise du père Benoît ‘je suis abbé pour vous et frère avec vous’, confie le nouveau père abbé. La réflexion commencée sous son abbatiat avec la fondation et sur l’avenir du bâtiment et son ouverture se poursuivra. Des travaux sont à prévoir dans l’abbaye, notamment dans l’hôtellerie pour pourvoir accueillir plus confortablement les pèlerins : « Un abbé accompagne la vie d’une communauté qui est beaucoup plus longue que cet abbatiat … Les choix orientent les 50 ou 100 prochaines années… » rappelle père Christophe
Un nouveau père abbé, enraciné et ouvert au monde
C’est en mars 2021 que le père Christophe Monsieur rejoint l’abbaye de Leffe comme prieur et maître des novices. Né dans une famille flamande à la frontière linguistique, il a exercé dans plusieurs abbayes (Averbode, Bois-Seigneur-Isaac, Frigolet) tout en gardant une mission paroissiale. Il a étudié la liturgie sacramentelle à Paris et participé à diverses commissions de liturgie, de spiritualité et de constitutions, entretenant ainsi des liens étroits avec plusieurs circaries. « Il faut dire que le nouveau père abbé a un don pour les langues, sourit le père Benoît. Il parle couramment 6 langues… et se débrouille même en lingala ! »
« Ce qui me tient à cœur, précise père Christophe, c’est de vivre la communion, concrètement. La langue, le regard, l’écoute… ce sont des gestes d’unité. » Son goût de la rencontre l’a conduit à animer de nombreuses retraites, des formations à la communication non-violente, et à accompagner, comme visiteur canonique, des communautés en Europe et au Congo. Il a également enseigné la liturgie, discipline qu’il affectionne tout particulièrement.
C’est dans cette passion qu’il a puisé sa devise : « Avançons dans la paix », un clin d’œil à la procession liturgique, mais surtout une invitation à marcher ensemble, à ouvrir la vie communautaire au service, avec audace et fraternité : « C’est le diacre qui ouvre la procession. Avancer, c’est s’engager ensemble, dans l’écoute et le service. Pas pour vénérer le musée de nos œuvres passées, mais pour vivre aujourd’hui et demain. »
Visiter, prier, rencontrer
Le nouveau père abbé entend poursuivre les grands axes déjà engagés : renforcer la fraternité communautaire, affirmer le projet pastoral de l’abbaye, et ouvrir davantage les lieux à ceux qui cherchent silence, ressourcement ou dialogue.
Pour découvrir l’abbaye, des offices ont lieu chaque jour à 7h et 11h (10h30 le dimanche), adoration à 18h, vêpres à 18h30 ; durant les week-ends de juillet et aout des visites guidées sont proposées (rendez-vous à 14h50 devant la porte principale).
Et si, au détour d’un sentier ou dans les rues de Dinant, vous croisez un homme en habit blanc au pas léger, c’est peut-être le nouveau père abbé. Il marche souvent. Comme un pasteur qui avance… dans la paix.
Christine Gosselin