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Auteur
Christine Bolinne Auteure
Date
6 juin 2024
Catégories
Belgique
Folklore
Vocation
Type
Au cœur des marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse, un chanoine et sapeur
Très vite les mots ne suffisent plus. Les yeux levés, les mains qui enserrent un cœur débordant d’émotion, le chanoine Philippe Masson est bouleversé. Et c’est à chaque fois la même chose lorsqu’il parle ou plutôt qu’il fait vivre, pour son interlocuteur, les Marches de l’Entre-Sambre-et- Meuse. Intarissable sur ces rendez-vous, ces rencontres humaines tellement riches. Des moments où croyants et non croyants se côtoient et marchent d’un seul pas pour un saint, une sainte. Et que le non averti ne se risque surtout pas à nier la dimension religieuse de ces marches sous peine de s’attirer les foudres du sapeur Masson !
Il est tombé dans les Marches de l’Entre-Sambre et Meuse comme d’autres moustachus célèbres tombent, dès leur plus jeune âge, dans la marmite d’un breuvage magique ! Originaire de Mariembourg, Philippe Masson était gamin lorsque, pour la première fois, il a porté l’habit. « Cela ressemblait à la tenue des gardes suisses mais en plus espagnol ! Je me souviens du casque, en métal, qui était vraiment très lourd. » Outre le poids du casque, l’enfant a encore été marqué par l’itinéraire emprunté par la procession : pour reconduire Notre-Dame de la Brouffe dans sa chapelle, il fallait traverser… un terrain de camping ! « Depuis, je n’ai jamais raté une procession à Mariembourg que ce soit en habit napoléonien ou en aube. » Lorsqu’il porte la tenue napoléonienne, il est en sapeur et ouvre la procession, une hache à la main. Le sapeur a pour mission de déblayer le terrain, d’ouvrir la route. Et Mariembourg, on l’aura compris, est une des multiples marches où la haute stature du chanoine-marcheur peut être repérée. Un prêtre qui, au fil des années, est toujours ému par la beauté de ces processions, par cette ferveur autour de la statue d’un saint, d’une sainte, par ce respect au passage des reliques emmenées tout autour du village.
Pas de marche reconnue sans un saint
Le chanoine Philippe Masson est aussi, comme nombre de marcheurs, passionné d’histoire. Et la période napoléonienne n’a quasi plus aucun secret pour lui. Connu pour un sens de l’humour doublé d’un flegme qui sans en avoir des racines britanniques est bien ancré pourrait s’emporter lorsque le caractère religieux de la marche est nié ! « Il n’y a pas de marche reconnue si elle n’accompagne pas un saint ou une sainte. » Voilà qui est clair.
« Moyen-Age, les processions sont accompagnées d’hommes en arme comme la confrérie des arbalétriers. Etaient-ils là pour protéger les reliques ? Je n’en suis pas convaincu. J’y verrais plutôt le prestige de l’uniforme. »
Chanoine philippe masson
Et de développer, « Moyen-Age, les processions sont accompagnées d’hommes en arme comme la confrérie des arbalétriers. Etaient-ils là pour protéger les reliques ? Je n’en suis pas convaincu. J’y verrais plutôt le prestige de l’uniforme. » N’allez pas imaginer que les marcheurs d’un village marchent pour le saint du village. Trop simple : « Ainsi, le saint patron d’Hemptinne est saint Rémy mais comme le village est en majorité agricole, il est placé sous la protection de saint Walhère. Il était plus important de demander, au saint, la protection du bétail. » Et c’est en l’honneur de saint Walhère que la marche, aujourd’hui, a toujours lieu.
Le clergé doit être présent
Le chanoine Masson est mordu comme nombre de ses confrères de la région. « Il faut que le clergé soit présent dans les marches. Et je reconnais que des confrères étrangers, en participant, font preuve de beaucoup de courage. Marcher ne fait pas partie de leurs traditions. Il arrive que des marcheurs se comportent, envers eux, de manière inconcevable. Il doit y avoir du respect pour le prêtre venu d’ailleurs qui découvre les marches. Il faut les accompagner, ils ont beaucoup de mérite. » Et s’il faut monter le ton fasse à des attitudes grossières, il n’hésite pas ! Le chanoine Masson voit d’un mauvais œil l’absence de prêtres dans les processions. « Si on laisse la marche uniquement aux marcheurs, nous sommes alors uniquement dans le folklore. »
Si le chanoine veut être au cœur de la procession c’est tout simplement parce qu’il a conscience du rôle qu’il à jouer, lui, et ses confrères. Une marche, ce sont en général trois jours de festivités. « Le samedi, c’est l’échauffement… » ponctue-t-il d’un léger éclat de rire.. Le dimanche, tout débute par une messe qui peut être très matinale. On a entendu, souvent bien avant le lever du jour, les tambours qui sillonnent le village. Ils vont chercher les officiers pour les conduire à l’église. « Tous ne sont pas présents à la messe et je dois dire que j’aime autant. Un marcheur qui n’a rien à faire de la foi, je respecte et j’aime autant qu’il ne vienne pas. Si c’est pour chahuter… »
Place à la marche et Monsieur le curé y est bien sûr présent. Ce qu’il aime ? Parler avec les uns et les autres. Entre marcheurs, pas de classes sociales. Le patron marche à côté de son employé, de son ouvrier… et le tutoiement est de mise. Partager avec ceux qu’il rencontre à l’église et surtout avec ceux qui n’y vont pas/plus. La présence du prêtre est « souvent une piqûre de rappel » pour beaucoup. Et son agenda va se remplir à la vitesse grand V avec les baptêmes, les mariages… Ce prêtre, il est sympa, il me plait dans la manière d’aborder les choses. Voilà de quoi rassurer les plus récalcitrants. De la pastorale de terrain ! Régulièrement et peut-être que cela paraîtra surprenant, des marcheurs profitent de ce moment tellement particulier pour demander le sacrement de réconciliation.
La pause de midi est un moment idéal pour reprendre des forces avec au menu les vitolets, les boulettes. Temps de convivialité que le prêtre ne boude pas. Le lundi est un jour où les pensées se tournent plus spontanément vers les défunts marcheurs, les familles. Lundi, comme tout au long du week-end, il aura commandé plusieurs tirs sans les tirer, « ce n’est pas notre rôle ».
Le plus beau
« Nous sommes les marcheurs de Notre-Dame et c’est extraordinaire. « On peut tout dire des marcheurs qu’ils boivent, qu’ils sont bruyants. Une fois que l’on a vécu de l’intérieur, on découvre autre chose. Il faut marcher pour voir la dimension humaine et spirituelle de chacun. »
Chanoine philippe masson
L’abbé Pivetta, doyen de Bastogne, aujourd’hui à la retraite passe prendre l’apéro avec son confrère. Et entre deux amoureux de marches, pas besoin de trop se creuser pour trouver le sujet de conversation. La marche bien sûr et son plus beau moment : la rentrée de la statue, des reliques dans l’église. Tous les marcheurs passent devant la statue. Le doyen Pivetta qui a longtemps été doyen à Walcourt : « Combien de fois n’ai-je pas entendu : « nous sommes les marcheurs de Notre-Dame et c’est extraordinaire. « On peut tout dire des marcheurs qu’ils boivent, qu’ils sont bruyants. Une fois que l’on a vécu de l’intérieur, on découvre autre chose. Il faut marcher pour voir la dimension humaine et spirituelle de chacun. »
Christine Bolinne