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Auteur

Diocèse de Namur Rédacteur
Date
14 juin 2024
Catégories
Pastorale des Solidarités
Type
Zoom sur la ruralité dans notre diocèse
Quel soutien et quel accompagnement pastoral ?
À la suite du dossier « Ruralité » publié dans le journal Dimanche de ce 16 juin, le service solidarité souhaite compléter les portraits des fermes de Catou Marot-Dardenne à Malonne, Jean-Luc Dewez à Liernu et Eric Noiset à Fauvillers.
Sur les 709 paroisses que compte notre beau diocèse de Namur-Luxembourg, beaucoup sont rurales et les paysages sont agrémentés de bon nombre de terres nourricières dont tentent de prendre soin agriculteurs, éleveurs, fruiticulteurs et même vignerons. Leur combat quotidien pour assurer notre alimentation est une vocation au service de tous, chronophage, énergivore, risquée au vu des lourds investissements, des crises environnementale, énergétique et sanitaire, de la mondialisation du secteur, de la concurrence internationale déloyale et de la chute des revenus.
Revenons sur leurs revendications, leurs attentes et des idées de soutien pastoral que chacun peut apporter en signe de reconnaissance, de communion et de solidarité.
Revendications agricoles : leur combat est le nôtre
#Notre fin sera votre faim
Malgré quelques nuances liées à leurs réalités différentes, l’agricultrice et les deux agriculteurs rencontrés rejoignent les paysans de nombreuses régions d’Europe dans leur combat pour le droit à vivre dans la dignité, avec des prix équitables pour leurs produits et une rémunération adéquate pour leur travail.
Lors de nos échanges, ils commencent tous par dénoncer la surcharge administrative qui peut représenter jusqu’à 15% de leur temps de travail. Avec la création de l’Afsca en 2000 à la suite des scandales sanitaires, tout doit être daté, justifié, consigné dans des registres. Les dates imposées ont parfois des retombées dramatiques pour la planète : la réduction des durées de stockage au champ du fumier sec entraine par exemple des épandages à des moments inadéquats et des conséquences sur la qualité des nappes phréatiques. Les normes imposées sont de plus en plus contraignantes, parfois infondées scientifiquement, les changements sont continus, les contrôles permanents avec amendes à la clé. Tout cela engendre stress et incertitude, freinant les reprises, les installations et la transition.
Outre cette complexité et aberrations des politiques agricoles wallonnes, un système agroindustriel mondialisé engendre des politiques européennes aussi incohérentes. Par des accords de libre-échange européens, l’Europe met consciemment l’agriculture belge en concurrence avec des produits importés d’autres continents, qui ne respectent pas les mêmes normes et qui sont vendus à bas prix. L’agroalimentaire productiviste rend les agriculteurs dépendants aux intrants (semences OGM, produits phyto, fertilisants) appliqués aux cultures pour améliorer leur rendement. Bien que les dommages environnementaux et sanitaires soient connus, s’en passer nécessiterait une authentique volonté de réforme des politiques agricoles qui redonnerait confiance à un savoir-faire ancestral, un travail en équilibre avec la terre capable d’assurer une autonomie alimentaire saine. Les agriculteurs subissent en outre le dictat de l’agro-industriel de transformation alimentaire et de son alter ego, la grande distribution. Soumis à la pression de différents intermédiaires, ils sont incapables de définir des prix basés sur leurs couts de production. Les grands distributeurs comme Colruyt mettent en place des stratégies d’accaparement de terres et de contrats précaires concédés aux agriculteurs. Coincés dans des systèmes économiques et techniques, les agriculteurs surendettés ont perdu leur autonomie. Aujourd’hui, 20% des agriculteurs belges vivent sous le seuil de pauvreté, avec un taux de suicide plus élevé que dans d’autres activités professionnelles.
Ce qu’ils attendent de nous, ceux qu’ils nourrissent
Tous les agriculteurs rencontrés se sentent non reconnus, déconsidérés, ciblés comme responsables de tous les problèmes environnementaux. Ils souhaitent être mieux (re)connus, mieux compris, mieux traités par la presse, encouragés et réconfortés dans l’exercice du plus beau métier du monde, celui qui nourrit la planète. Ils seraient heureux de tisser plus de liens et de vous parler « du fruit de la terre et du travail des hommes ».
Ils seraient heureux de tisser plus de liens et de vous parler « du fruit de la terre et du travail des hommes ».
Pastorale de la solidarité
Quelle pastorale pour accompagner les artisans de la Terre ?
Comme nous le rappelle l’article 486 de la Doctrine sociale de l’Eglise, « Les graves problèmes écologiques requièrent un changement effectif de mentalité qui induise à adopter un nouveau style de vie, dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune ». Si nous voulons « encourager les formes de production agricole et industrielle qui respectent l’ordre de la création et satisfassent les besoins primordiaux de tous », les agriculteurs ont cruellement besoin du soutien de toute la population pour responsabiliser nos décideurs et tenter d’orienter les politiques.
« Les graves problèmes écologiques requièrent un changement effectif de mentalité qui induise à adopter un nouveau style de vie, dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune ».
article 486 de la Doctrine sociale de l’Eglise
Quels genres de soutien pouvons-nous leur apporter ?
- Un soutien moral en allant à la rencontre des acteurs agricoles, en prenant la peine d’ écouter ce qui fait leur quotidien, leurs joies et leurs peines, leurs rêves et leurs désespoirs, leurs attentes.
- Un soutien matériel et financier par des gestes concrets à notre portée : acheter des produits en circuits courts, à la ferme, sur les marchés, dans les coopératives ou, si le supermarché reste la seule solution, y privilégier les produits locaux et donc de saison. Manger dans des restaurants qui favorisent l’agriculture locale. Il existe en ligne des plateformes de financement participatif (Miimosa, Terre-en-vue par ex) qui soutiennent l’accès à la terre, la transition alimentaire, l’adoption d’un animal ou d’un arbre fruitier par exemple.
- Un soutien spirituel par la prière individuelle et collective, par des eucharisties spécifiques, à l’occasion de certains saints patrons ou de réalités locales. Le missel romain offre l’occasion de célébrer l’eucharistie pour des raisons particulières : pour la sanctification du travail humain, pour les travaux des champs, pour après les récoltes, en temps de famine ou pour ceux qui souffrent de la faim, pour demander la pluie ou le beau temps, pour écarter les tempêtes. Le livre des bénédictions prévoit aussi des prières de bénédiction (instruments de travail, animaux, champs et prés, source, puits, fontaine, présentation de fruits nouveaux, table). La tradition des rogations n’a plus une place fixe dans le calendrier liturgique postconciliaire et chaque paroisse peut se montrer inventive en répartissant par exemple les trois jours d’autrefois sur des lieux différents de l’unité pastorale offrant aux fidèles la possibilité d’une prière plus proche de leur lieu de travail. De plus, comme le souligne déjà l’article paru dans le journal Dimanche, une présence d’Eglise à travers ses pasteurs attentifs aux réalités vécues jusque dans la cour de la ferme ou dans les champs est soutenante.
Co-créateurs, à quoi sommes-nous appelés pour une terre fertile aujourd’hui et demain ?
Comme nous le rappelle la doctrine sociale de l’Eglise, « le travail agricole mérite une attention particulière en raison aussi bien du rôle social, culturel, économique qu’il continue de jouer dans les systèmes économiques de nombreux pays, que des nombreux problèmes qu’il doit affronter dans le contexte d’une économie toujours plus mondialisée et de son importance croissante pour la sauvegarde de l’environnement : « Des changements radicaux et urgents sont donc nécessaires pour redonner à l’agriculture – et aux cultivateurs – leur juste valeur comme base d’une saine économie », dans l’ensemble du développement de la communauté sociale » (art 299).
« Le travail agricole mérite une attention particulière en raison aussi bien du rôle social, culturel, économique qu’il continue de jouer dans les systèmes économiques de nombreux pays, que des nombreux problèmes qu’il doit affronter dans le contexte d’une économie toujours plus mondialisée et de son importance croissante pour la sauvegarde de l’environnement : « Des changements radicaux et urgents sont donc nécessaires pour redonner à l’agriculture – et aux cultivateurs – leur juste valeur comme base d’une saine économie », dans l’ensemble du développement de la communauté sociale »
Article 229 de la doctrine sociale de l’Eglise
Nous sommes donc invités à approfondir le sens du travail agricole dans ses multiples dimensions et à soutenir les jeunes agriculteurs dans les combats qu’ils devront encore inévitablement mener pour leur survie en Europe. Nous devrons tout faire pour créer des vocations, soutenir les jeunes, l’accès à la terre à des prix abordables. Nous devrons réfléchir avec eux en faveur de nouveaux schémas plus durables : une agriculture écologiquement saine (recherche et savoir-faire agroécologique), économiquement viable (protéger les prix de vente), socialement juste et humaine (qui place l’humain avant le profit).
Article du Service de la Solidarité