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Auteur
Christine Gosselin Auteure
Date
19 octobre 2025
Catégories
Aide internationale
Couple & Famille
Pastorale Interculturelle et des Migrants
Type
Accueillir des héros : le témoignage d’Agnès Sieux
Dans le cadre du Jubilé de la pastorale des migrants, nous rencontrons Agnès Sieux, qui depuis 2018 ouvre sa maison et son cœur à des migrants – qu’elle appelle tout simplement ses “invités”. Pour Agnès et sa famille, accueillir s’impose presque naturellement : un geste de fraternité qui semble bien petit face à l’immense courage de ces « héros » et devient source de rencontres et partage d’un chemin de vie et d’espérance.
Comment votre famille a-t-elle pris cette décision d’accueillir des migrants ?
Depuis la crise migratoire de 2015, beaucoup de personnes se mobilisaient à Rochefort où nous habitons pour accueillir et aider. Nous avons quatre enfants – actuellement de 21, 19, 16 et 14 ans – et c’est par une maman très engagée de l’école que nous avions pris conscience de ce besoin concret et proche d’accueil. Pour nous, l’encouragement du pape François et des versets bibliques, comme « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli » ont été des sources d’inspiration. En discutant avec cette maman, nous nous sommes sentis rassurés et nous nous sommes lancés.
Comment se sont organisés les premiers accueils ?
Au départ, il s’agissait de week-ends pour des personnes en route vers l’Angleterre : un accueil très court, très organisé. En 2018, un réseau de bénévoles bien établi était déjà en place grâce à la Plateforme d’hébergement citoyen. On rencontrait des migrants à Bruxelles ou à la sortie d’autoroute et on les ramenait chez nous. Ensuite les accueils sont devenus plus longs… Depuis 2018, nous avons hébergé plus de vingt personnes, trois « invités » à la fois maximum.
Vous utilisez le terme « invités ». Pourquoi ?
Oui, nous les appelons « invités ». Ce terme ne vient pas de nous mais de la Plateforme d’hébergement citoyenne (BELRefugees maintenant). Cela reflète notre approche : ce n’est pas seulement un hébergement, mais un vrai partage. Nous souhaitons créer un espace de respect mutuel et de dignité, où chacun se sent accueilli. Cela permet aussi de rompre avec l’idée d’assistance purement matérielle : il y a une rencontre humaine et culturelle.
Comment se passe la communication avec eux ?
On communique souvent en anglais et quand ce n’est pas possible c’est via google translate que les échanges se font. Les invités participent à la vie de la maison : mettre la table, vider le lave-vaisselle, proposer des menus de chez eux… Les jeux de société, qu’on aime beaucoup dans notre famille, sont de bons vecteurs de rencontre et de partage. De même que le babyfoot… On peut y jouer sans parler et pourtant on se comprend !
L’accueil inclut-il une dimension spirituelle ?
Durant le covid, on a accueilli deux jeunes dames pendant deux mois. C’étaient des orthodoxes éthiopiennes. On a partagé leurs traditions orthodoxes pour vivre Pâques. De manière générale, on propose chaque soir, un temps de prière en famille. Les « invités » peuvent participer s’ils le souhaitent. On a eu un couple et un enfant palestiniens qui habitaient au Liban depuis des générations. Ils étaient là en silence debout avec nous. Ils disent leur bénédicité avec nous, dans leur langue tout bas… Nous avons même prié avec des musulmans… C’est impressionnant et émouvant de partager ces gestes de foi.
Quel mot définirait le mieux cet accueil ?
La rencontre. La vraie rencontre de ces personnes qui sont des héros… Avec eux, on voyage en restant chez soi… On découvre d’autres cultures par leur cuisine, leur musique, les témoignages vécus concernant la situation politique de leur pays. On ne se rend pas compte de combien ça a dû être difficile de quitter les beautés de leur pays en plus du déchirement de laisser leur famille derrière eux, de combien le parcours qu’ils ont réalisé pour arriver jusqu’ici a été éprouvant. Un invité avait ainsi régulièrement les jambes qui s’endormaient tant il était resté longtemps dans l’eau. Ils ont traversé des mers, des montagnes, vécu des traumatismes terribles pour arriver jusqu’ici.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Outre le fait que la loi est très compliquée et change régulièrement, il semble qu’il y a de plus en plus de barrières pour l’accueil. Il est parfois difficile de s’y retrouver. Les places d’accueil en centres d’hébergements diminuent régulièrement et actuellement, en plus des jeunes hommes seuls, ce sont des familles avec enfants qui dorment à la rue et sont en recherche d’un accueil plus long qu’un week-end ; le temps de mettre les papiers en ordre… Après c’est du temps qu’on choisit de consacrer : se mobiliser pour eux, les accompagner dans les suivis médicaux, les amener dans des logements collectifs, les aider administrativement, aménager les menus pour les orthodoxes et les musulmans… Ils rêvent tous eux une nouvelle vie. Mais la loi sur le regroupement familial a également été modifiée et est beaucoup plus contraignante. C’est révoltant de sentir qu’on rend les choses plus compliquées…
Gardez-vous contact avec vos anciens invités ?
Oui. Par exemple, un jeune Yéménite que nous avons accueilli quinze jours est revenu récemment, ses papiers enfin en ordre. Nous essayons aussi de rester en lien via Facebook ou par messages ponctuels. Je m’identifie à ces familles… Je trouve la rencontre
magnifique. Ces personnes sont des modèles de courage et de résilience ! Toutes étaient bien éduquées, respectueuses, reconnaissantes et bien intégrées dans notre grande famille. Ceux qui sont restés plus longtemps nous disent « vous êtes notre deuxième famille »… Et pourtant il nous semble faire si peu. Je me dis souvent que si nous avions été à leur place et qu’ils nous avaient accueillis dans leur pays… ils nous auraient accueillis mille fois mieux. Comme ce doit être blessant de se retrouver en Belgique avec toutes ces portes fermées et ces barrières …
« Accueillir, c’est apprendre autant que donner. C’est une expérience humaine et spirituelle qui transforme autant les hôtes que les invités ».
Agnès Sieux
Interview recueillie par Christine Gosselin