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Auteur
Christine Gosselin Auteure
Date
27 octobre 2023
Catégories
Formation
Terre Sainte
Type
L’abbé Gianpaolo Cesareo : à Jérusalem, entre juifs et musulmans
Arrivé à Jérusalem début octobre pour reprendre des études bibliques, l’abbé Gianpaolo Cesareo se retrouve aujourd’hui en plein cœur du conflit israélo-palestinien. Du jour au lendemain, la Jérusalem joyeuse, vibrante encore de l’allégresse des fêtes de Soukkot (fêtes des cabanes), est devenue une ville déserte et silencieuse résonnant des alarmes anti-bombes et de la haine ravivée d’une communauté envers une autre.
C’est le 4 octobre que l’abbé Gianpaolo Cesareo, curé de Jambes-Velaine, atterrit en Israël pour y reprendre des études bibliques dans le cadre d’un tout nouveau Centre d’études en affiliation avec l’Université Pontificale du Latran à Rome. Deux années de formation sont prévues pour cette licence : une première année en Terre Sainte qui comprendra une préparation en langues anciennes au Studium bliblicum franciscanum à Jérusalem et des cours sur les origines chrétiennes dans le nouveau Centre ; et une année à Rome. Abbé Gianpaolo : « Le lendemain de mon arrivée j’ai commencé les cours d’hébreu et de grec biblique. Jérusalem était dans un grand climat de joie pour les fêtes de Soukkot – la fête des tentes ou des cabanes pour les juifs –. Les juifs côtoyaient les chrétiens et les musulmans dans les rues encombrées de la vieille ville. J’avais préparé mon arrivée à Jérusalem par la lecture du nouveau livre de Eric-Emmanuel Schmitt Le défi de Jérusalem et je découvrais ce dont il nous parle : cette ville sacrée des trois religions monothéistes, comme le lieu d’un défi capital pour l’humanité, le défi de la fraternité humaine ».
Encore aujourd’hui, tout cela semble irréel. L’abbé Gianpaolo, en manches courtes – il fait 24-25° sous le soleil – nous parle depuis le merveilleux jardin de la résidence confiée au chemin néo-catéchuménal par le patriarcat syro-catholique. Trois autres prêtres, 5 séminaristes et un couple habitent également en ces lieux, dans une communauté de vie fraternelle. Juste à côté, la maison d’Abraham de Caritas accueille 70 pèlerins.
La maison se situe à l’Est de la ville, dans un quartier arabe, sur une petite colline de 800m d’altitude qui offre une vue plongeante sur la vieille ville de Jérusalem (l’Est de Jérusalem est considéré par les Palestiniens comme un territoire occupé par Israël.)
Le samedi 7 octobre tout a basculé : « Nous nous sommes réveillés avec les tristes nouvelles de l’attaque du Hamas, au Sud du pays et des tirs des roquettes sur plusieurs régions. Les alarmes anti-bombes ont retenti, même à Tel-Aviv et Jérusalem, explique l’abbé. Je ne suis pas du tout habitué à cela et je ne sais pas comment il faut réagir à l’écoute de telles sirènes. Au niveau sécurité, tous les nouveaux édifices sont dotés de bunkers anti-missiles mais notre maison est plutôt ancienne et n’a pas de chambres sécurisées. On se met à l’intérieur loin des fenêtres. Rien ne laissait penser à l’éclatement d’une guerre israélo-palestinienne comme celle que nous connaissons actuellement. Depuis plus de 50 ans, le conflit n’avait jamais eu encore cette portée ; en ce moment-même Jérusalem est une ville extrêmement militarisée ».
L’État d’Israël a décrété l’état d’urgence. L’abbé explique que tous les établissements publics ont été fermés et qu’il a été demandé à chacun de rester chez soi. Les cours se faisaient en ligne. Les pèlerins étrangers ont été rapatriés : « À Jérusalem se trouvait aussi ma mère pour un pèlerinage qu’elle avait prévu indépendamment de moi, raconte l’abbé. J’ai pu la saluer à l’hôtel où elle logeait, mais le soir-même tout leur groupe a été rapatrié d’urgence par le gouvernement italien avec un avion militaire. » Idem pour les pèlerins accueillis à la maison Abraham qui est maintenant absolument vide. Nous sommes ici en plein quartier arabe où se trouve aussi une des mosquées les plus radicales de Jérusalem ; ils ont fêté les attaques du Hamas avec des feux d’artifices et des rassemblements qui ont provoqué l’arrivée de l’armée. Pour les disperser, ils ont utilisé des gaz lacrymogènes que nous avons pu sentir jusqu’à chez nous. Juste à côté, il y a une colonie juive où résident plus de 300 juifs. Ils ont exposé de grands drapeaux d’Israël et diffusent à volume élevé des chants juifs nationalistes chaque jour à 17h. Nous sommes entre deux peuples qui vivent comme voisins l’un de l’autre et se haïssent à la folie. C’est triste. »
Comment se passe le quotidien ?
Depuis le 7 octobre, toutes les vieilles blessures se ravivent. « Il y a beaucoup de tensions surtout le vendredi, jour où les musulmans se rassemblent en bon nombre sur l’esplanade des mosquées (Esplanade du Temple pour les juifs). L’armée fait des contrôles très sévères et parfois des mesures plus violentes s’imposent. L’Université où j’étudie est à une centaine de mètres de cette esplanade. Nous sommes appelés à la prudence. On essaye de ne pas sortir seuls quand il nous faut quitter la résidence, même si les signes distinctifs de notre religion nous protègent dans cette radicalisation de la haine. Aujourd’hui, les solutions diplomatiques, politiques s’avèrent très compliquées. La présence chrétienne en Terre Sainte est fondamentale comme zone neutre, qui peut être le lieu de la réconciliation ».
L’abbé Gianpaolo se sent cependant serein et même reconnaissant envers le Seigneur de se trouver en Terre Sainte, ce qu’il considère comme un énorme don de Dieu. Dans la petite communauté dans laquelle il vit, la prière, les offices, l’eucharistie rythment le quotidien ensemble. Après six ans en paroisse, l’abbé voit ce temps comme une occasion de refaire ses forces spirituelles de se recentrer sur sa relation au Christ, de redécouvrir l’écriture sainte dans ces lieux : « J’ai pu passer un temps très prolongé, quasiment seul, au Saint-Sépulcre, lieu où il y a d’habitude beaucoup de files de pèlerins. J’ai pu me rendre à l’église de Saint-Pierre-en-Gallicantu où l’on dit que saint Pierre a pleuré après avoir trahi le Christ, au Gethsémani et en d’autres lieux bibliques. C’est toujours interpellant et touchant. C’est une grâce particulière de pouvoir se promener avec la Bible et visiter les lieux saints en passant du temps avec l’écriture en lisant les passages relatifs à ces lieux. Cette guerre me fait penser que nous sommes tous dans un combat intérieur contre nos peurs, nos péchés, nos trahisons. Mais Jésus-Christ a vaincu la mort, la peur et le péché. Cela nous rempli d’espérance même en ce moment historique très triste et délicat pour cette terre ».
Que faire ?
Prier… et « sourire, aimer sincèrement la personne qu’on a devant soi quelle que soit sa religion ou culture, ajoute l’abbé Gianpaolo. C’est le défi de Jérusalem ! Schmitt écrit : Jérusalem nous réveille. Ou plutôt Dieu nous réveille à travers elle. Le défi que Dieu lance aux croyants, aux incroyants, outrepasse ce qu’ils s’imaginent : Dieu ne leur dit pas : entendez-moi ! Mais il leur crie : entendez-vous ! À Jérusalem où tout a commencé, rien n’est fini. Forts de cette espérance, nous pouvons combattre avec l’arme de la prière. Le pape François et le Patriarche Cardinal de Terre Sainte Pier-Battista Pizzaballa ont demandé des journées de prières et de jeûne pour la paix dans ces lieux. Une union de prière et de communion fraternelle est possible malgré la distance. La prière est ce qui nous tient tous unis. Il a donné sa vie pour l’humanité, juif, musulmans et chrétiens, espérons qu’il puisse resplendir comme une lumière de réconciliation pour tous ! »
Que depuis cette magnifique ville, dont l’étymologie populaire en hébreu veut dire ville de la paix, puisse surgir un temps de paix et de fraternité universelle.
Christine Gosselin