« L’Évangile au cœur » – Une Parole incarnée pour tous
Une retraite de trois jours réunissait à l’Abbaye d’Orval une soixantaine de personnes des communautés de l’Arche de Namur, Bruxelles et Bierges pour un temps de recueillement, de rencontre et de spiritualité. Le thème de cette récollection : « Descends vite ! » inspiré de l’Évangile de Zachée. « Viens à la retraite, il y a une urgence à rencontrer Jésus » … Une rencontre facilitée par « l’Évangile au cœur » » une expérience spirituelle où la Parole se vit par le geste au rythme des cœurs.
C’est dans le calme de l’abbaye, loin de l’agitation du quotidien et sous le soleil, que les personnes en situation de handicap mental et leurs accompagnateurs de l’Arche se sont rassemblés pour commencer la journée.
Sur une grande feuille, l’Évangile de Zachée est affiché et le texte récité en paroles et en gestes par toute l’assemblée. Véronique Bontemps, amie des foyers de l’Arche depuis de longues années nous explique avec enthousiasme : « Avec l’Évangile au cœur, on ne lit pas seulement le texte, on le vit parce qu’on l’a appris par cœur. ‘’Zachée court en avant de Jésus’’, ’’Aujourd’hui Jésus va faire halte dans ta maison’’, ‘’Zachée descend et le reçoit avec joie’’… Nous faisons de même avec nos gestes et tout notre être. C’est tout un mouvement de rencontre, d’élan, de vie qui traverse la communauté et qui est précisément l’objet de cette retraite. »
L’Évangile au cœur : une méthode vivante et accessible
Véronique se forme à cette manière d’apprendre et de dire qui résonne profondément avec l’esprit de l’Arche : « La mémorisation gestuée rend l’Évangile accessible à tous, invite à vivre la Parole avec le corps, le cœur et l’esprit. Elle transforme la simple lecture en une véritable célébration incarnée, où gestes et paroles se répondent pour inscrire le message de l’Évangile dans la mémoire profonde de chacun. C’est une manière d’entrer dans la Parole de Dieu avec tout notre être : l’intelligence, l’affectivité, la mémoire du corps… On parle souvent d’une lecture priante, ici, on parle d’une prière incarnée. La gestuation biblique, précise-t-elle, n’est ni du mime ni du théâtre, mais plutôt une impression de la Parole dans le corps ». Chaque geste amplifie le texte, le rend tangible. Un mimodrame à taille humaine, où chacun trouve sa place pour vivre le mystère de l’Évangile à son rythme. Les gestes sont soigneusement choisis pour refléter le contenu des Écritures : des bras ouverts pour signifier l’accueil, des mains sur le cœur pour exprimer l’amour, des élans du corps pour évoquer la joie ou la louange.
Jean-Benoît Hoet, coordinateur régional de l’Arche complète : « Ce que j’aime dans cette méthode, c’est qu’elle donne à chacun la possibilité de participer pleinement, quelle que soit sa capacité d’expression. Le geste prend le relais des mots. Chacun devient acteur de la prière. Dans la dynamique communautaire de l’Arche, cela prend une dimension encore plus forte : la proclamation gestuée de l’Évangile devient un moment de communion, où les barrières de la parole et de l’intellect s’effacent au profit de la beauté du geste partagé. Cette approche rejoint une intuition profonde de l’Arche qui voit dans la vulnérabilité humaine non pas une faiblesse, mais un chemin vers la rencontre et la joie authentique ». Guitare en bandoulière, Jean-Benoît entraîne la communauté dans les chants, tandis que dans la salle résonnent tambours, triangles, tambourins et bâtons en bois. « Chacun s’exprime à sa manière. Certains dansent, d’autres frappent des mains… Il n’y a pas de routine, chaque partage est unique », sourit-il.
Christian, témoin d’une joie profonde
Christian, 64 ans, membre de l’Arche depuis 25 ans, est de ceux pour qui cette retraite a été un moment fort. Il confie simplement : « J’aime bien venir à Orval, c’est calme et j’aime rencontrer les moines. Et ça me prépare aussi à rencontrer le pape bientôt à Rome ! »
Toujours prêt à tendre la main, Christian est connu dans la communauté pour son art tout naturel d’aller vers les autres. « Je vais à eux, je me présente, je dis où j’habite… et très vite, les gens me parlent. » À Orval, il a savouré pleinement ces moments de rencontre et de silence, qui prennent un autre relief dans cette retraite partagée.
Une retraite en binômes et en résonance
Au-delà des gestes collectifs, la retraite invite aussi à des temps de partage plus personnels. Chaque participant chemine avec un binôme, choisi au préalable et présenté de manière symbolique par le biais d’un objet : « Une personne a choisi des lunettes de piscine, raconte Véronique en souriant, pour mieux voir même quand la vie pique les yeux, comme quand on coupe des oignons… C’est simple, drôle, mais très profond. »
Ces duos prennent le temps de s’écouter autour de questions essentielles : qu’est-ce qui me touche aujourd’hui dans mon cœur ? Est-ce que je veux que Jésus vienne chez moi ? Qui fait partie de « ma maison » ?
Dans le respect et le calme, s’ouvrent alors des espaces de parole inattendus. En tout début de journée, une personne s’est ainsi levée spontanément et en confiance. Elle a traversé la salle et devant tout le monde a demandé de prier pour ses parents. Jean-Benoît, très attentif, a accueilli ce geste avec une grande bienveillance. Toute la communauté promet de porter cette intention lors de la célébration de réconciliation, l’après-midi.
Unité dans la diversité, communion dans la différence
La retraite est pensée pour que chacun, quelle que soit sa foi ou son parcours, puisse s’y sentir bienvenu. Les repas partagés en silence deviennent eux aussi des lieux de communion profonde, où les gestes simples du quotidien se font prière. L’eucharistie finale rassemble ceux qui le souhaitent dans le même élan d’espérance. « Même dans nos différences, nous formons un seul corps, » glisse Véronique.
À Orval, l’Évangile a quitté les livres pour s’inviter dans les gestes, dans les regards, dans les silences partagés. Avec « Évangile au cœur », la Parole s’est faite proche, accessible, vivante.
« Ici, même ceux qui peinent avec les mots peuvent proclamer la Bonne Nouvelle », résume Véronique. Et Christian, avec son sourire lumineux, conclut à sa manière : « J’ai beaucoup d’amis ici. On prie, on chante, on est dans la joie. C’est beau la retraite. »
Christine Gosselin