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Auteur

Christine Bolinne Auteure

Date

7 juin 2023

Catégories

Belgique
Cathobel

Type

Actualités pastorales

Courageux, discret, l’abbé André a sauvé, à Namur, des enfants juifs

L’abbé Joseph André, un homme discret, réservé qui a toujours fui les honneurs. Il faudra d’ailleurs beaucoup de persuasion pour le convaincre de se rendre en Israël et y recevoir la plus haute distinction du pays, celle de Juste parmi les nations. Un homme d’une efficacité redoutable, d’un courage sans nom. Durant la seconde guerre mondiale, il a caché des centaines d’enfants juifs les sauvant ainsi d’une déportation certaine. Il les logeait, à Namur, dans la maison voisine de la Kommandantur ! La guerre terminée, il a été aumônier à la prison de Namur. Un homme qui n’avait rien parce qu’il donnait tout. Dimanche, à l’occasion du 50e anniversaire de son décès, catholiques et juifs étaient réunis à l’église Saint-Loup pour se souvenir. 

Pour beaucoup, il est resté et restera « le vicaire ». Et dimanche encore, lors de l’hommage  rendu conjointement par l’Eglise Catholique, le diocèse de Namur, l’Association Belge de l’Enfant Caché, la Ville de Namur, le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique, du Forum der Joodse Organisaties et du Consistoire Centre Israélite de Belgique, ils ont été prononcés à bien des reprises et toujours avec un profond respect, quasi de la vénération pour celui qui a sauvé la vie de parents, d’amis…

L’abbé Joseph André est né, à Jambes, le 14 mars 1908. Ordonné prêtre pour le diocèse en 1936, il enseignera avant de devenir vicaire, à Namur, de la paroisse Saint Jean-Baptiste. Un an plus tard, en 1942, des familles juives traquées par les nazis arrivent à Namur. L’abbé André les héberge dans la Maison des Œuvres Paroissiales situées juste à côté de la Kommandatur. Bernard Gliksberg est le fils de Théo Gliksberg, 15ans à l’époque, « un des enfants cachés. » Dimanche, il a lu un extrait d’une interview donnée par son père : « Je suis resté au début avec deux amis dans la maison de l’abbé André, nous aidions dans la cuisine, nous avions installé une quarantaine de lits à l’étage grâce à l’aide de différentes personnes de la Ville de Namur. Au deuxième étage, il y avait un théâtre qui a permis d’évacuer les enfants lors des différentes alertes. La brosse à dents de l’abbé servait à tous les enfants. Il avait cédé sa salle de bain, sa chambre et même son lit aux enfants et dormait sur une chaise dans son bureau. » Ces récits de vie sont nombreux et vont tous dans le même sens. Des enfants que le prêtre plaçait dans des familles.

« Au début, l’abbé André présentait les enfants comme des orphelins, puis il disait aux familles que ces enfants étaient juifs. Aucune famille ne refusa de protéger les enfants placés par l’abbé André. Mon père participait à la messe avec lui dans les différentes paroisses. L’abbé André n’a jamais tenté de convertir ces enfants, ce qui n’a toujours pas été le cas provoquant des problèmes d’identité. »

Bernard Gliksberg

« Il ne faut pas lui faire ça »

Lors de cet hommage, Mgr Warin, évêque du diocèse de Namur remerciera « l’abbé André pour son exceptionnelle action en 1942. » Et de rappeler qu’il a ouvert la cause de béatification de l’abbé Joseph André en 2021. L’abbé Bruno Jacobs en est le postulateur. A ce titre, il rencontre des témoins. « Certains d’entre eux m’ont fait part de cette objection : ‘Il ne faut pas lui faire ça, il ne sera pas d’accord’. » Un prêtre, un homme qui ne voulait pas des honneurs. Il soulignera encore toute la persuasion dont il a fallu faire preuve pour le convaincre de répondre à une invitation venue d’Israël :  le président voulait lui remettre la distinction suprême de « Juste parmi les nations ». Et c’est parce qu’une personne lui a parlé d’un rapprochement possible entre juifs et chrétiens par son action durant la guerre qu’il s’est laissé convaincre. « Pour l’abbé André, ce fut un argument décisif car ce rapprochement lui tenait à cœur. » Un arbre est planté à son nom dans les jardins de Yad Vashem. Finalement, il ira en Israël et y retournera durant plusieurs années. Espérant même y mourir.

Tous un enfant de Dieu

La guerre terminée, l’abbé André est nommé aumônier de la prison de Namur. Suzanne Boonen-Moreau, magistrate honoraire l’a bien connu quand, jeune avocate, elle se rendait à la prison : « Si je devais vous définir, en un seul mot les occupations, fonctions, activités, services de cet Aumônier, je dirais ‘présence’, présence continuelle, perpétuelle, intemporelle et même matérielle. Curieuse qualification pour un homme dont tout le monde connaissait la discrétion, la réserve et l’extrême modestie…, fine silhouette diaphane, flottant dans une soutane élimée, avec laquelle il glissait silencieusement dans l’ombre des couloirs et des cellules. » Et de poursuivre : « Présence légère car elle ne pesait sur personne mais pénétrante, car elle était partout aux côtés de chacun. Chaque détenu, quelles qu’étaient les raisons qui l’avaient conduit en prison, de n’importe quelles croyances et convictions, était pour lui un enfant de Dieu, au même titre que les gardiens, les directeurs, les avocats, les magistrats…tous avaient le même droit au respect inconditionnel dû à l’être humain, dans sa plus grande magnificence ou dans sa plus grande misère, avec un surcroît d’attention aux personnes de cette dernière catégorie, pour pallier toutes les carences que la plupart avaient déjà subies. »

Là encore, il fera preuve d’une force incroyable n’hésitant pas à héberger chez lui des ex-détenus démunis. C’est dans son bureau de la prison de Namur où, une nouvelle fois, il avait passé la nuit qu’il sera retrouvé, le 1er juin 1973, sans vie. Il avait 65 ans.

« Ce prêtre, invisible et silencieux, mû par une énergie et une conviction quasi surnaturelles, a laissé un souvenir immense partout où il est passé et personnellement, j’ai le sentiment d’avoir rencontré un être exceptionnel, qui débordait de la condition humaine pour nous amener, avec lui, dans une dimension qui nous dépasse tous de très loin. »

Suzanne Boonen-Moreau

Un arbre et puis une fresque urbaine

Autre intervenant de cet hommage, le député-bourgmestre de Namur, Maxime Prévot (Les Engagés). Il se dira honoré de participer à l’hommage à un homme « un exemple marquant, une démonstration de courage et une volonté indéniable pour chacun et chacune d’entre nous. » Si une plaque commémorative a été apposée, voici plusieurs années, place de l’Ange, la Ville a aujourd’hui le projet de réaliser une fresque urbaine dédiée à l’abbé André.

Avant qu’un arbre un érable du Père David ne soit planté dans le parc de l’évêché, Albert Guigui, Grand Rabbin de Bruxelles a lui aussi pris la parole : « Hommage à ce héros de l’ombre, qui, par sa bonté et sa sollicitude envers tous, a accompli d’une manière exemplaire et dans tout le sens biblique, c’est-à-dire, le plus large, le Commandement divin qui équivaut à tous les autres : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Il nous incombe aujourd’hui, si nous voulons respecter sa mémoire, de suivre la voie qu’il nous a tracée. Et cette voie commence par le refus d’oublier. » Il poursuivra : « A ceux qui seraient tentés d’oublier, notre rôle est de crier ‘soyez vigilants’. » En conclusion : « Dans le judaïsme, la reconnaissance est une vertu cardinale. Notre peuple sera éternellement reconnaissant à tous ces justes des nations, à ces héros de l’ombre qui, durant la guerre, ont pris des risques énormes pour eux et pour leurs familles afin de sauver des victimes innocentes des griffes des nazis. »

Entre ces prises de parole, des étudiants de l’Imep ont assuré les intermèdes musicaux ajoutant encore de l’émotion à cet hommage. Comme ce chant « Ani Maamin » de Azriel David Fastag composé dans le wagon à bestiaux qui l’emmenait à Treblinka.

Christine Bolinne
Photos : Elisabeth Deshayes

Les discours

Retrouvez ici les discours prononcés le 4 juin 2023 lors de l’hommage rendu à l’abbé Joseph André.

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