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Auteur
Christine Gosselin Auteure
Date
7 août 2023
Catégories
Belgique
Formation
Vatican
Type
Des abus de pouvoir dans la relation pastorale
Recommandée par la conférence épiscopale, deux formations sur les abus dans la relation pastorale se sont déroulées en ce début du mois de juin à Habay-la-Neuve et Beauraing. La professeure Karlijn Demasure, théologienne belge, professeur à l’Université Saint-Paul à Ottawa (Canada) et directrice fondatrice du Centre de protection des enfants et des personnes vulnérables dans la même université a ainsi partagé son expertise avec près de 300 acteurs pastoraux, prêtres, diacres, assistants paroissiaux et pastoraux réunis pour l’écouter.
« Le moment est venu de réparer les dommages causés aux générations qui nous ont précédées et à ceux qui continuent de souffrir », a rappelé le Pape François le 5 mai dernier lors d’une rencontre avec la Commission pontificale pour la protection des mineurs […] « Il est important de ne jamais cesser d’avancer… la protection des mineurs et des personnes fragiles doit être une norme pour tous » a-t-il conclu. C’est également ce que rappelle d’entrée de jeu Karlijn Demasure, qui évoque tout le chemin parcouru depuis 1985. A ce moment, aucune recherche n’existe sur ces questions des abus concernant des enfants ou des adultes. Il s’agit d’un sujet tabou sur lequel la documentation est presque inexistante ou insuffisante. Depuis des études ont été menées qui montrent l’évolution dans la perception, la reconnaissance, la théorisation mais surtout dans la prévention, la protection, la prise en charge et le suivi des abuseurs et des victimes. Même s’il reste encore beaucoup à faire…
Focus sur ces trois concepts, le chemin parcouru et celui qui reste encore à parcourir.
La notion de victime
Le concept repose sur une certaine idée de faiblesse, de passivité, de non-responsabilité qui pose question. Être victime, ne veut pas nécessairement dire, être faible. La notion de victime peut « enfermer », se transformer en « identité ». C’est pourquoi, d’aucun, surtout aux USA lui préfère le terme « survivant » qui met davantage l’accent sur la résilience. Mais à nouveau, plus que survivre à un abus, il s’agit de vivre au-delà. Un troisième concept apparait alors celui de « thriver » traduit par « personne éblouie » ou « combattant » qui désigne la personne qui intègre l’abus dans un récit de vie dont ce dernier n’est plus le seul point de référence. L’abus est ainsi considéré comme quelque chose qui arrive à la personne mais qui ne doit pas être l’essence de son identité.
Entre ces trois acceptations, on peut aussi voir se dessiner un chemin pour la personne dans lequel les aspects sains et productifs de la vie sont repris progressivement en considération. Dans ce processus le témoignage (entendu comme prise de parole de la victime quant à son vécu) est un moment important pour sa reconstruction. La personne qui recevra ce témoignage doit donc être quelqu’un de fiable, formée à l’écoute, qui s’assurera que cette parole sera transmise aux autorités compétentes et ne retombera pas dans le silence.
La notion d’abuseur
Le concept a lui aussi évolué. Karlijn Demasure explique qu’il fut dans un premier temps considéré comme quelqu’un qui commettait un « péché ». Dans ce cadre, la confession était proposée contre ce péché et « suffisait » ; dans un second temps, l’abuseur est considéré comme souffrant d’une pathologie. C’est donc au médecin de « contrôler », faute de la soigner, cette perversion. Mais tous les abuseurs ne sont pas des pédophiles ! La notion d’abuseur est bien plus large ! Enfin, troisième appréhension de l’abuseur, il est considéré comme un criminel. Le glissement conceptuel est intéressant car il fait passer de la sphère individuelle, à la sphère systémique qui appelle une réponse de cet ordre et le renvoit vers la justice.
Au sein de l’Église, le cléricalisme encourage ce système abusif. Il est donc à proscrire CATÉGORIQUEMENT : « L’ordination ne met pas les prêtres, à part, sur un piédestal comme une certaine théologie, qui voit le prêtre comme étant le Christ sur terre, le promeut ».
« Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique à toute forme de cléricalisme »
Lettre du Pape François au peuple de dieu
« Tous les abus, sont des abus de pouvoir »
Depuis le 25 mars 2023, le texte du pape François « Vous êtes la lumière du monde » reprend toutes les règles concernant les abus qui se déclinent aussi à côté de l’abus sexuel, en abus financier, émotionnel, de conscience, spirituel… C’est toujours la confiance qui est affectée.
Le texte définit l’adulte vulnérable comme une personne se trouvant dans un « état d’infirmité, de déficience physique ou psychique, de privation de liberté personnelle qui de fait limite, même occasionnellement, sa capacité de compréhension ou de volonté, ou en tous cas sa résistance à l’offense ».
La vulnérabilité est donc aussi situationnelle. La personne adulte, comme l’enfant, se trouve souvent, lors de l’abus, dans une situation de dépendance psychologique, de manipulation qui renforce sa vulnérabilité. Cela peut se produire dans les relations pastorales, dans l’accompagnement spirituel, dans la coopération entre le prêtre et le laïc, dans les communautés nouvelles…
Il est parfois plus difficile d’admettre cette situation de vulnérabilité chez un adulte (entendu comme quelqu’un qui pourrait se défendre), ce qui rend encore plus difficile la libération de la parole chez ce dernier. Mais un adulte dans un contexte de déséquilibre de pouvoir positionnel ou personnel (dépendance financière, trauma, dépression, etc.) est incapable de donner un consentement libre et éclairé.
Le mécanisme de l’emprise
Les recherches ont pu mettre à jour une manière de procéder « type » de l’abuseur, quel que soit le type d’abus.
- La lune de miel, il s’agit tout d’abord d’attirer la personne en faisant en sorte qu’elle trouve ce qu’elle cherche, en construisant une relation personnelle avec elle ; opération de séduction, de flatterie et de valorisation.
- Le jeu de l’attraction et du rejet. Certains éléments négatifs émergent mais la phase de lune de miel rend difficile la réponse à ces éléments. L’abuseur tente d’isoler la victime (en parlant mal de cette personne dans un groupe, en la coupant de relations extérieures) ; en exigeant l’obéissance, voire la soumission de la personne. Alternance compréhension et culpabilisation pour parer toute rébellion.
- Tentative de contrôler chaque élément de la vie de la personne :
- En prenant des décisions à la place de la personne (abus de conscience)
- En s’appuyant sur des arguments théologiques (d’autorité : représentant de Dieu sur terre)
- En s’appuyant sur la culture du secret (fais-moi confiance, tu ne sais pas tout…).
Karlijn Demasure souligne deux facilitateurs à ce mécanisme :
La personne qui a le désir de Dieu (d’un idéal), un besoin de reconnaissance ou de protection sera d’autant plus vulnérable à ce mécanisme. De même, le flou entre les frontières presbytérales et pastorales, entre le pouvoir positionnel et personnel renforcent la mise en place de ces transgressions.
Quelle prévention ?
Il faut distinguer la prévention pour les mineurs ou personnes vulnérables, la prévention des adultes qui vivent ou travaillent avec ces personnes, et la prévention au niveau du législatif.
La formation est essentielle pour chacune, mais il reste clair que c’est toujours celui qui a le pouvoir qui est responsable de respecter les frontières. Une déontologie claire, l’établissement des limites de la relation d’aide, le refus d’une trop grande proximité émotionnelle ou physique, la connaissance de soi, de ses limites, de son pouvoir sont des balises fondamentales.
De manière institutionnelle, il convient de mettre en place des procédures de désignation de personnes qui recevront les témoignages et de dénonciation : l’aveu de l’abus aux autorités compétentes une fois qu’il est recueilli est obligatoire.
Quel pardon ?
S’il est central dans la vie de l’Église, il s’agit d’un sujet délicat pour les « victimes ». L’holocauste a déplacé les points de vue sur le pardon et fait réfléchir beaucoup de philosophes. Trois points de vue sont ainsi développés : l’obligation de pardonner, le droit de ne pas pardonner, faire son possible pour pardonner mais accepter que ce n’est pas toujours possible. Souvent en effet, on demande trop vite de donner son pardon. Or, la « victime » a besoin de temps. C’est un nouvel abus spirituel que d’exiger le pardon. Parfois, ne pas pardonner est une manière pour la victime de reprendre le pouvoir. Le trauma effectivement affecte la capacité de pardonner.
Le pardon est un processus avec plusieurs étapes à franchir dont l’un est de « comprendre l’abuseur », ce qui ne veut pas dire le justifier, ou accepter l’acte mais faire un chemin de pardon. C’est toujours Dieu qui prend l’initiative du pardon qui reste une réalité spirituelle et non une obligation morale. Comme le dit Donald Winnicott « Le pardon vient en son temps. Le pardon vient d’ailleurs. Nous avons la capacité de créer les conditions dans lesquelles, nous espérons, il apparaîtra. Il est possible que nous nous sentions bien quand cela se produit. Mais rien de cela n’est en notre pouvoir ».
Suite à la formation donnée par Madame Demasure sur la prévention des abus au mois de juin dernier, des outils ont vu le jour afin de clarifier les attitudes aidantes et de réfléchir comment agir face à une situation d’abus au sein de l’Église ? Un premier document introduit à la problématique, trois fiches abordent tour à tour : l’écoute, le signalement et l’orientation (personnes et services qui peuvent être contactés selon les situations). Le dernier document est un tableau récapitulatif des questions à ce poser face à ces situations. Vous les trouverez ici.
Christine Gosselin