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Auteur

Diocèse de Namur Rédacteur
Date
14 juin 2024
Catégories
Couple & Famille
Pastorale des Solidarités
Type
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir »? Eduquer à l’image du corps et de la sexualité
C’est avec le professeur émérite Claude Callens que s’est clôturé, le 03 juin dernier, le 1er cycle de conférence « Famille et société » organisé conjointement par les pastorales de la famille et de la solidarité. Alors que le corps est le Temple de l’Esprit Saint et la sexualité un lieu de communion à l’image de Dieu, comment le chrétien peut-il aborder les problèmes soulevés par la banalisation des représentations du corps nu et de la sexualité auxquelles nous sommes tous confrontés au quotidien ? Ces images « sexy » qui inondent la publicité, la bande dessinée, la mode, des films accessibles à tous sont un des effets du fléau que Jean-Paul II a appelé opportunément « pornovision » : les contenus pornographiques ont beaucoup de succès auprès d’adultes mais aussi d’enfants de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Dans ces images pornographiques sont violés le droit à l’intimité du corps et la profonde harmonie du don et de se donner l’un à l’autre inscrit dans la structure masculine et féminine de l’être humain.
Le point d’interrogation provocateur après le titre inspiré d’un passage du Tarfuffe de Molière, « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », présente l’intérêt de nous rappeler que l’érotisation chez l’homme passe principalement par les yeux (Tartuffe se révélera être un faux dévot) tandis que chez la femme, comme le laisse supposer la réplique de Dorine, c’est surtout par l’ouïe et le toucher. Ce titre provocateur introduit également une question essentielle : l’expression artistique peut-elle ou doit-elle accepter des limites (lesquelles ?) ou, au contraire, jouir de la plus grande liberté ?
Pour nous aider à réfléchir, Claude Callens a ouvert quelques pistes illustrées par la peinture, la sculpture et le cinéma à travers un rapide coup d’œil sur l’histoire de l’art, à la recherche de quelques visions du corps, du monde et valeurs mises en lumière par les artistes. Pour en savourer pleinement le contenu, nous vous invitons à visionner la vidéo ci-dessous.
Notre conférencier a choisi comme premier et principal guide Jean-Paul II, dont la théologie du corps et la réflexion sur l’art sont uniques dans l’histoire de l’Eglise. A la question de savoir s’il est permis de représenter le corps nu, sa réponse est claire : « Au nom de la vérité, l’art a le droit et le devoir de reproduire le corps humain ainsi que l’amour de l’homme et de la femme tels qu’ils sont en réalité, il en a le droit et le devoir d’en dire toute la vérité[1] ». Tout n’est donc pas permis, deux limites s’imposent. L’artiste doit être conscient et respecter la vérité et la hiérarchie des valeurs dont l’objet-corps est chargé. Il doit aussi avoir une vue d’ensemble sur la vérité de l’homme et de l’amour humain, au-delà des éléments sensuels et sexuels. Pour Jean-Paul II, avec l’introduction de la caméra et du mouvement, le langage du cinéma restreint la possibilité de contemplation du corps et est incapable de traduire la plénitude d’un baiser, d’une relation sexuelle ou d’un orgasme. Pour lui, seule la littérature peut y parvenir comme le fait si bien Brasillach dans « Nuit de Tolède » (in Comme le temps passe) ou Martin Steffens dans « L’amour vrai ».
« Au nom de la vérité, l’art a le droit et le devoir de reproduire le corps humain ainsi que l’amour de l’homme et de la femme tels qu’ils sont en réalité, il en a le droit et le devoir d’en dire toute la vérité »
Karol Wojtyla, Amour et responsabilité, Stock 1978, p177-178
Comme second guide, M. Callens a choisi Pie XII qui a proposé aux nombreux cinéastes italiens et américains de son époque, deux critères grâce auxquels ils ont pris conscience que, la plupart du temps, les scènes de nu et de relations sexuelles sont inutiles par rapport à la narration et peu signifiantes ou inauthentiques par rapport à la nature de l’objet filmé. Ces deux critères d’utilité narrative et d’authenticité ont mis en avant que la suggestion vaut
mieux que le monstration explicite et que rares sont les films ou des images de nudité ou de sexualité sont justifiées (des films d’Eric Rohmer, Babel de A. Inarritu, Le silence de Lorna des frères Dardenne).
Ces critères de discernement de Jean-Paul II et Pie XII se retrouvent chez des auteurs contemporains. La philosophe irlandaise Iris Murdoch ou l’écrivain français François Cheng font aussi un lien entre le beau, le bien et le vrai, la première insiste sur la condition de se désintéresser de son ego et de ses fantasmes personnels, le second sur le fait que seule la beauté peut être objet de contemplation contrairement à la sensualité qui réduit le corps à un objet possible de jouissance. Pour l’écrivain et philosophe américain Stanley Cavell, le cinéma offre une voie de perfectionnisme moral quand il est le fruit d’une attention à l’autre, d’une conversation avec l’autre. On retrouve dans ces œuvres comme dans bien d’autres, y compris des contes populaires, cette conversation où deux individus peuvent s’améliorer et se réinventer un avenir, cette structure de mort et de résurrection, signe d’un inconscient religieux collectif. La thèse retenue par M. Callens est que l’art authentique, dans ses formes les plus pures, reste un relais remarquable de ce cheminement spirituel.
Pastorale familiale et pastorale de la solidarité
Un ouvrage sur le sujet sera gracieusement mis à votre disposition en 2025 sur le déjà très riche site de M. Claude Callens : Évangélisation et action politique (moralesociale.net)
[1] Karol Wojtyla, Amour et responsabilité, Stock 1978, p177-178